Pour enrayer ce phénomène, l’indexation des salaires sur l’inflation a longtemps été pratiquée en France et dans d’autres pays industrialisés, avant d’être progressivement abandonnée. L’économiste Patrick Artus rappelle que, dans les rangs des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), l’indexation des salaires aux prix est estimée économétriquement à 0,85 entre 1960 et 1989, contre 0,37 entre 1990 et 2022.
Cela signifie concrètement que 1 % de hausse des prix se traduisait en moyenne par une augmentation de 0,85 % des salaires à court terme sur la première période quand cette revalorisation était plafonnée à 0,37 % sur la seconde.
Le virage de la désindexation des années 1980
En France, la désindexation intervient en 1983, à la faveur du fameux « tournant de la rigueur » après deux ans du premier mandat de François Mitterrand. Avec le double objectif de juguler une inflation galopante et d’améliorer la compétitivité-prix des produits tricolores à l’export, le gouvernement de Pierre Mauroy bloque d’abord les prix et les salaires du 1er juin au 1er novembre 1982. Puis Jacques Delors, ministre de l’Économie, incite fermement les partenaires sociaux à prendre pour base de leurs négociations annuelles sur les salaires, la cible d’inflation inscrite au budget de l’État, bien inférieure au taux d’inflation de l’année écoulée qui servait jusqu’alors de référence.
Les conséquences de ce changement de cap économique ne se font pas attendre. De plus de 13 % en 1980, l’inflation retombe à moins de 3 % dès 1986. Et le coefficient d’indexation des salaires sur les prix s’effrite, passant d’environ 0,9 durant la décennie 1970 à 0,7 pendant la décennie suivante.
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Les dangers d’une boucle prix-salaires
Ce rappel historique permet de mieux cerner l’inconvénient majeur associé à une politique de stricte indexation des salaires sur l’inflation. Arrimer la progression des rémunérations sur celle des prix, c’est prendre le risque de créer une boucle prix-salaires dans laquelle se sont enferrées de nombreuses économies développées dans les années 1960 et 1970.
Boucle prix-salaires
Cercle vicieux macroéconomique dans lequel la hausse des prix engendre une demande sociale d’augmentation des salaires qui, si elle est accordée, accroît la demande de biens et de services, ce qui alimente en retour l’inflation, etc.
Dans ce cercle vicieux macroéconomique, l’indexation participe à normaliser des anticipations d’inflation élevée chez les agents économiques. S’ils savent que les salaires vont mécaniquement s’ajuster au niveau des prix, les ménages comme les entreprises vont parier sur la survenue d’une inflation plus forte que celle sur laquelle ils auraient tablé avec une indexation moins automatique.
Or les anticipations d’inflation des agents sont le principal carburant des spirales inflationnistes. Pour bien le comprendre, prenons le cas d’un ménage et imaginons qu’il prévoie une forte inflation pour l’année à venir. Il demandera alors des hausses de salaires à ses employeurs, procédera à l’achat immédiat des biens dont il juge fortement probable que le prix augmente et retardera à l’inverse la vente de biens qu’il possède et dont il espère voir le prix augmenter.
Toutes ces décisions économiques sont pleinement rationnelles d’un point de vue individuel, mais produisent, à l’échelle agrégée, la même conséquence indésirable : elles contribuent à alimenter l’inflation, laquelle constitue un phénomène largement auto-entretenu.
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Soutien au pouvoir d’achat des classes populaires
L’indexation des salaires sur les prix possède néanmoins quelques vertus. Dans le contexte actuel, elle pourrait d’abord contribuer à restaurer l’attractivité de certains secteurs dont les grilles de rémunération ont complètement décroché. Les employeurs de l’hôtellerie-restauration l’ont bien compris, consentant une hausse générale des salaires de la filière d’environ 16 % pour tenter de remédier à la pénurie de main-d’œuvre.
Surtout, l’indexation constitue un puissant levier de soutien au pouvoir d’achat des salariés, notamment à celui des plus modestes. Car tous les Français ne sont pas égaux face à l’inflation. Les ménages les plus démunis consacrent une part plus importante de leurs budgets que les plus aisés aux énergies et à l’alimentation.
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Or l’inflation sévit fortement dans ces deux postes de dépenses. L’économiste Sylvain Bersinger d’Asterès estime que les 10 % les plus pauvres subiront cette année une perte de pouvoir d’achat liée à la hausse des prix de l’alimentation deux à trois fois supérieure à celle supportée par les 10 % les plus riches.
En un an, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic), le seul à être indexé sur la hausse des prix, a été augmenté de 5,9 %, soit une hausse de 72 euros par mois. Une revalorisation générale des salaires est-elle souhaitable au risque de jeter de l’huile sur le feu de l’inflation ?
On comprend que cette décision est éminemment politique car elle soulève des enjeux de stabilité macroéconomique, mais également de redistribution et de justice sociale.
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Les questions au programme de SES au lycée dont des notions ou des mécanismes sont abordés dans cet article :
Première : « Qu’est-ce que la monnaie et comment est-elle créée ? »
Terminale : « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »