Economie

« Comme pour les cryptos, l’histoire bancaire a été chaotique » Odile Lakomski-Laguerre

Krachs, drames, abus… Le réseau bancaire ne s’est pas constitué en un jour mais en un ou deux siècles. Odile Lakomski-Laguerre raconte. De quoi en tirer des leçons pour l’avenir des cryptos ?

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Pourquoi elle ?

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Odile Lakomski-Laguerre est maître de conférences à l’Université de Picardie Jules Verne d’Amiens, chercheuse au Laboratoire d’Economie, Finance, Management et Innovation (LEFMI). Elle a notamment écrit : Les mutations de la monnaie : Cryptoactifs, jetons numériques stables et monnaie numérique de banque centrale avec Michel Aglietta, L’Économie Mondiale 2022, CEPII, Repères, La Découverte.

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Sur quoi se base la confiance en une monnaie ?

Trois niveaux de confiance qualifient véritablement un objet de monnaie. Le premier niveau est une confiance méthodique : avoir une sécurité qui assure une routine et une continuité des paiements, essentielle pour éviter les fausses monnaies, les fraudes etc.

Le deuxième niveau, c’est la confiance hiérarchique : pour sa bonne circulation et son bon fonctionnement, une monnaie est émise par des institutions ou des groupes d’individus en qui on doit avoir confiance. Pour la monnaie bancaire, ce sont les institutions bancaires : ces autorités monétaires fixent l’unité de compte, mais surtout les règles d’émission monétaire et donc la politique monétaire.

Le troisième niveau de confiance, la confiance éthique, est un peu plus complexe à saisir. Elle correspond aux valeurs dominantes dans une société à un moment donné. Par exemple, la monnaie de crédit qui commence véritablement à se mettre en place au 19ᵉ siècle et qui va devenir prédominante. Le 19ᵉ correspond à la mise en place d’un capitalisme industriel et avec lui du financement des innovations, des projets industriels, des investissements… qui rendent la monnaie de crédit nécessaire.

Les récentes crises des cryptomonnaies (FTX et TerraLUNA) ont-elles entamé la confiance des investisseurs ?

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Ce qui me paraît plus intéressant, c’est d’analyser ce qui se passe là dans le milieu des cryptomonnaies, avec l’histoire monétaire et surtout avec l’histoire bancaire. Comment se sont constituées les banques ? Ça a pris un ou deux siècles. Il ne faut pas oublier que la confiance dans la monnaie bancaire s’est installée progressivement et qu’elle ne s’est absolument pas faite sans krach, ni sans panique bancaire. Peu à peu, s’est mise en place une régulation bancaire, une centralisation par des banques centrales qui assurent le prêt en dernier ressort quand il y a des problèmes.

Éco-mots

Prêteur en dernier ressort

Garantes du bon fonctionnement des marchés financiers et de la stabilité du système, les banques centrales, comme la BCE ou la Fed, sont des prêteurs en dernier ressort. Elles peuvent apporter, dans les cas d’urgence cités ci-dessus, des liquidités aux banques privés, après avoir épuisé toutes les autres possibilités auprès d’autres banques ou sur le marché monétaire.

Les grandes banques centrales se sont constituées après les crises bancaires : la banque centrale américaine s’est constituée après une crise bancaire très grave au début du XXᵉ siècle. La Banque centrale européenne a commencé véritablement à se constituer comme une vraie banque centrale dès lors qu’elle a pris la mesure de la crise de 2008 et qu’elle a commencé à mettre en œuvre des injections de liquidités, etc., ce qui n’était pas dans sa constitution au début.

Éco-mots

Banque centrale

Institution financière dont le rôle est d’orienter la politique monétaire et de change, et de contrôler les banques et la création monétaire. Elle assure la stabilité du système monétaire et financier en assurant le rôle de prêteur de dernier ressort.

Selon moi, on est au début d’innovations extrêmement importantes dans le domaine de la monnaie. Il est possible que les cryptomonnaies puissent être des formes monétaires du futur. Ça a été créé de toute façon pour accompagner le développement de l’Internet et de tout ce qui y est lié. C’est un espace qui pour l’instant est totalement non régulé et donc il est logique qu’on voit des excès et des crises, des excès de spéculation, des excès de volatilité.

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Pour l’instant, les cryptomonnaies ne sont pas encore des monnaies à proprement parler. À l’origine, ce sont des projets d’alternative monétaire, ce sont des projets de systèmes de paiement innovants, et pas des actifs spéculatifs. Le problème, pour le bitcoin en particulier, c’est que cela a été désigné comme une marchandise. C’est là un peu l’erreur. L’écosystème va finir par évoluer et par se rendre compte qu’effectivement, la confiance dans une monnaie, ça suppose un certain degré de sécurité pour les utilisateurs et un certain degré de régulation. Je pense que l’absence de régulation, c’est une utopie totale.

Les cryptomonnaies ont-elles apporté des solutions nouvelles au système bancaire conventionnel ?

À mon avis, oui. C’est une innovation au sens de Schumpeter : radicalement nouvelle dans son organisation, complètement décentralisée.

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Quand Nakamoto invente le projet Bitcoin, il parvient à combiner de manière très innovante des techniques qui existaient déjà dans le milieu informatique pour créer la blockchain, ce processus de validation très spécifique au Bitcoin et assurer la sécurité des paiements. Pour la première fois, un objet numérique non reproductible et non falsifiable est sécurisé et authentifié par un réseau informatique. Mais pour que ce soit une vraie innovation, il faut qu’elle soit diffusée, acceptée largement.

L’histoire nous a montré que la monnaie métallique a été supplantée par la monnaie bancaire mais, encore une fois, sur un temps long. Au lieu d’interdire tout bonnement l’usage des cryptomonnaies, les autorités des différents pays ont décidé de ne pas étouffer cette forme d’innovation. Le pouvoir politique est désormais dans un entre-deux : il doit composer avec cet écosystème privé qui se développe et en même temps sauvegarder la souveraineté monétaire. C’est pour ça que les banques centrales se sont, elles aussi, lancé dans cette course à l’innovation, en lançant leur propre monnaie numérique. On pourrait voir émerger une espèce de concurrence des monnaies. A priori, le public gardera sans doute davantage confiance dans ce qu’il connaît déjà, à savoir les monnaies publiques.

Comment restaurer la confiance en la monnaie ? Y a-t-il des exemples dans l’histoire ?

Quand on voit ce qu’il se passe, le rebondissement des enquêtes, on a l’impression d’être au Far West. L’univers s’enferme dans une économie de casino complètement délirante. Ça dépasse presque la crise de 2008.

Je prends un parallèle avec la banque. Quand les banques ont commencé à émettre leur propre monnaie bancaire, elles avaient des stocks d’or. Les gens venaient faire des dépôts d’or et en contrepartie, les banques leur donnaient de la monnaie papier. Les banques ont commencé à se constituer véritablement en tant qu’industrie bancaire à partir du moment où elles ont émis plus de papier que ce qu’elles n’avaient de stock d’or. Et là, la question de la confiance était absolument cruciale. Elles ont fait le pari que tout le monde ne viendrait pas demander l’or en même temps. Il fallait tout de même que la banque soit capable, à chaque fois que les déposants venaient demander leur or, de les rembourser, régulièrement. En fait, la confiance dans une monnaie, c’est ça, c’est la qualité de la gestion de l’intermédiaire qui va assurer la circulation de la monnaie. La confiance dans les banques, elle se fait sur la qualité de l’actif qu’elles ont dans leur bilan, c’est-à-dire de tous les investissements qu’elles font, de tous les prêts qu’elles octroient, etc.

Un deuxième point fondamental, c’est la nécessité d’une banque centrale pour injecter des liquidités en cas de problème et en cas de crise. Donc cela suppose une centralisation, une régulation et aussi ce qui peut sauver des paniques bancaires.

La période contemporaine est marquée, d’un point de vue bancaire, par l’existence d’une assurance des dépôts, c’est-à-dire qu’en tant que dépositaire, on sait que si jamais une banque a un problème, on a une assurance sur nos dépôts à hauteur de 100 000 euros. C’est extrêmement important. En fait il faut que l’écosystème se constitue progressivement une éthique. Or, le système des cryptomonnaies repose effectivement sur un ensemble de valeurs dont fait partie l’utopie de l’anarchie libertarienne. S’ils veulent que les monnaies soient largement acceptées, il faudra laisser tomber cette utopie.

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